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Chroniques
récital Erwan Keravec
Bianchi – Keravec – Leroux – López López – Strasnoy
Sonneur de cornemuse écossaise, le Breton Erwan Keravec a souhaité un jour se libérer de la tradition pour cheminer vers l’improvisation et la musique savant, à l’instar de certains harpistes de sa région. Après Urban Pipes (2007) et Urban Pipes II (2011) sortait Nu Piping (2013), album regroupant huit pièces originales signées Béranger, Cavanna, de la Fuente, Garcia, Leroux, Moultaka, Rossé et Yoshida. « Ma motivation, confie-t-il, était d’entendre mon instrument dégagé de sa culture originelle – pas par déni, mais par désir de nouvelles formes… »
Son nouveau projet s’avère une carte de visite qui regroupe improvisation et écriture, instrument et voix. L’un des invités est le Basque Beñat Achiary, choisit pour sa capacité « à se fondre dans les bourdons ou le “chanter” (hautbois mélodique) » – avec des vocalises couvrant l’ensemble de la tessiture, « la cornemuse devient organique et la voix primitive ». Mais l’essentiel du disque repose sur le soprano Donatienne Michel-Dansac, bien connue des familiers d’Aperghis [lire nos chroniques du 12 mai 2010 et du 5 juin 2005, ainsi que nos critiques des CD Récitations et Avis de tempête], et le baryton Vincent Bouchot, lui aussi acquis à la création.
Puisqu’on évoque des retrouvailles, commençons par Philippe Leroux (né en 1959). Après Le cri de la pierre, présent sur Nu Piping, découvrons Le chant de la pierre (Nantes, 2015). À la manière d’un sculpteur qui taille la matière, les voix trouvent leur assise dans les grains multicolores de la cornemuse, « en émergent ou s’y enfouissent comme d’une matrice nourricière ». Michel-Dansac et Bouchot y excellent à distordre les mots du poète québécois Fernand Ouellette (né en 1930).
Il y a quelques années, le Madrilène José Manuel López López (né en 1956) associait l’accordéon à la douceur de l’été (L’Art de la sieste, 2005) [lire notre chronique du 24 novembre 2007]. Aujourd’hui, No time (Aberdeen, 2014) puise au poème éponyme de Dionisio Cañas pour rendre les ultimes pensées de corps lancés du World Trade Center en flammes (2001). Une cornemuse omniprésente – qui explore les frottements entre le chanter aigu et les trois bourdons graves disponibles –, l’urgence et l’expressivité du dire sont de rigueur, malgré quelques silences et susurrements médians.
Comme l’auteur de Jactations, Oscar Strasnoy (né en 1970) est friand de théâtre musical et d’absurde – citons seulement Geschichte et Fabula [lire nos chroniques des 15 et 22 janvier 2012]. La commande du festival Sonik lui permet de mettre en musique l’univers du dramaturge Hanokh Levin (1943-1999), dont les cabarets satiriques dénoncent avec virulence une politique israélienne vécue de l’intérieur. Devant la porte, et surtout Au bout de trente ans (Quimper, 2013), sont de savoureuses saynètes qui profitent du talent théâtral de leurs interprètes.
Terminons avec le benjamin d’un programme parfois capté en concert : l’Italien Oscar Bianchi (né en 1975) que l’on sait curieux de sons nouveaux et à l’aise avec le chant, depuis la création aixoise de Thanks to my eyes [lire notre entretien sur la genèse de l’ouvrage et notre chronique du 8 juillet 2011]. Pour Fluente (Quimper, 2013), il met en relation deux voix qui s’observent l’une l’autre, « exhalant un sentiment de fluidité et d’impalpabilité », mais conduites à des cris puissants au contact gravitationnel d’une cornemuse d’abord discrète. Ludique et virtuose, cette pièce aux timbres bien assortis possède un charme durable.
LB